L’accident
Il faisait bon, en ce matin du 12 avril 2002. La veille, l’évaluation de l’année professionnelle qui venait de s’achever se concluait par un accord sur le fait de bénéficier d’une voiture de société. Comme tous les matins, j’avais laissé la voiture tourner en haut de la pente de garage pendant que je descendais refermer la porte.
Mais là, … stupeur !
Alors que je me retournais après avoir fermé la porte, je me rendis compte que la voiture commençait à descendre la pente. La portière conducteur étant restée ouverte, je décidai de tenter quelque chose pour éviter la catastrophe. J’accourus vers la voiture et tentai de sauter dans l’habitacle pour resserrer le frein à main.
Malheureusement, la tentative échoua misérablement : ma tête heurta le montant de la voiture qui me repoussa violemment au sol. Je fis plusieurs roulades sur le côté pendant que la voiture entrait dans le garage en fracassant la porte. Je suis resté conscient pendant la chute. Lorsque je me suis relevé, je saignais à la tête et j’avais un fort mal au dos. J’étais toujours en mesure de me déplacer ce qui me donna l’opportunité d’appeler les secours.
A l’hôpital, après avoir suturé l’estafilade que je m’étais faite à la tête, on prit une radio de mon dos. Résultat : fracture en diabolo de la quatrième lombaire (L4) avec recul des murs postérieurs et antérieurs sans lésion neurologique.
Une année perdue à attendre
Dans une attitude volontairement attentiste (et implicitement optimiste), les médecins qui m’ont traité à l’époque, après mûre réflexion (4 jours), décidèrent de ne pas opérer. Au lieu de cela, je dus porter un corset plâtré pendant presque trois mois. Ils espéraient que le morceau de vertèbre cassé se recollerait au corps vertébral. Il n’en fut rien.
En octobre 2002, après examen de la situation à six mois de l’accident, les médecins me conseillèrent de me faire opérer. En raison de l’affaissement causé par la vertèbre cassée, ma colonne prenait une position beaucoup trop différente de la normale. Des compensations qui s’opèrent naturellement dans la colonne, il résulterait, à court ou moyen terme, des fatigues et une usure des disques intervertébraux de toute la colonne. L’intervention prescrite était une arthrodèse de L3-L4-L5. En terme simple, il fallait remplacer le morceau de vertèbre cassée par un nouveau morceau d’os et de fixer ensemble les trois vertèbres autour de la fracture.
Face à une opération d’une telle ampleur, je décidai de recueillir l’avis d’un deuxième spécialiste. Celui-ci me confirma que l’opération était bel et bien nécessaire. Sans elle, la vie normale deviendrait rapidement impossible.
Au quotidien, mon dos me rendait la vie de plus en plus dure. Rapidement, le moindre travail se faisait sentir. Certaines opérations, a priori bénignes comme de nettoyer un parterre de fleur, devenaient un calvaire. Parfois, la douleur me gagnait dès le matin et seule, une heure et demie de repos couché sur le sol pouvait me soulager. L’opération était donc inéluctable.
Os de banque ou os à moi ?
Les deux praticiens rencontrés préconisaient la même intervention : retirer le morceau de vertèbre cassé, le remplacer par un morceau d’os et fixer les trois vertèbres entourant la fracture. Là où ils se différenciaient, c’est dans la provenance des os de remplacement.
Le premier médecin prévoyait d’utiliser un os de banque, récupéré d’un cadavre puis nettoyé et séché. Il y a peu de risque de rejet car l’os utilisé est mort.
Le second médecin comptait me retirer un morceau d’un os inutile (péroné ou crête iliaque) de mon propre squelette pour le greffer à la vertèbre déficiente. A ses dires, cet os bien vivant avait de meilleure chance de se ressouder au corps vertébral qu’un os de banque.
A qui confier son sort ?
Compte tenu de la qualité du contact avec le second spécialiste, je décidai de lui confier mon sort. Rendez-vous fut pris pour le 24 avril 2003, un peu plus d’un an après le crash.
La veille
L’admission à l’hôpital a lieu la veille de l’intervention. Cela permet à l’hôpital de remplir la paperasse à l’aise, de contrôler ce que vous mangez, ce que vous buvez, … avant la date fatidique. Au programme, prise de sang, électrocardiogramme, questionnaire pour l’anesthésiste, radio (puisque les dernières dataient de plus de six mois) et rasage et désinfection des régions incriminées (dos, ventre, entre-jambe).
Mais aussi, PEG. Sous ce vocable, se cache une boisson salée destinée à purger le système digestif. Il me fallut en boire deux litres. Une réelle épreuve…
Même si je suis encore jeune (la petite trentaine), même si j’ai déjà subi d’autres interventions sous anesthésie générale et même si j’ai un “bon coeur”, je dois bien avouer que les quelques jours avant l’intervention, je flippais gentiment dans mon coin. Le risque zéro n’existant pas, on ne peut s’empêcher de penser “et si je ne me réveillais pas”… J’arrivais à faire abstraction de l’intervention elle-même mais pas de l’anesthésie.
24 avril : “Le” jour J
L’intervention était la première au programme. A 7h30, j’entrais dans le bloc opératoire, accueilli par l’anesthésiste et quelques infirmières. Je n’eus que très peu l’occasion d’admirer le “bloc” car je fus rapidement endormi. Ce n’est que huit heures plus tard que je pus ressortir de ce sommeil artificiel. Les premières images qui me restent d’après l’intervention sont celles de mes proches venus me voir aux soins intensifs alors que mon regard n’était pas encore tout à fait net.
J’avais trois pansements : un sur le côté (pour la greffe), un dans le dos (pour l’arthrodèse) et un dans la jambe (puisqu’on a pris le greffon dans le péroné). J’étais aussi assez joliment “tuyauté” : sonde gastrique, sonde vésicale (vessie) et des drains dans le dos et dans la jambe. Probablement aidé par la pompe à morphine, je ne ressentais que très peu de douleurs et de gènes de cette tuyauterie.
25 avril : le lendemain de la veille
Le premier jour, on a droit à rien. Ni à boire, ni à manger. Il faut laisser le temps aux organes de reprendre leur place. Au mieux, dans la chaleur de la chambre, on peut espérer une compresse humide dont on aspirera goulûment les quelques millilitres d’eau qu’elle contient.
On a pas droit à se placer dans son lit non plus : la position sur le dos est la seule autorisée. La seule possible aussi avec les drains… Mais la pompe à morphine est toujours là pour tenir le patient calme. D’après l’infirmière, j’étais peu client de cette aide. Trop peu même. Il me fut conseillé de pomper plus afin de me tenir calme.
Les jours suivants
Lorsque les drains cessent de pomper des crasses hors des plaies, on les retire. Soulagement… On va enfin pouvoir bouger un peu dans ce lit. Mais pas trop pour ne pas risquer de faire du mal à la greffe.
Le système digestif est lent à reprendre du service. Non seulement a-t-il été endormi pendant de longues heures mais les organes ont été quelque peu chahutés pour permettre l’intervention. Mon premier repas fut constitué d’un pudding vanille. Par chance, j’adore ça. Seulement, en l’état, je ne pus le terminer. On réessaya plus tard. Et petit à petit, ça s’est mis à rentrer. Lorsque les intestins ont recommencé à fonctionner, qu’ils ont émis leurs premiers gaz, on a droit à la première grande récompense : le retrait de la sonde gastrique. D’abord, elle me dérangeait car elle faisait une grande boucle scotchée autour de mon visage mais aussi car elle passait par mon nez et ma gorge.
La sonde urinaire me déchirant peu à peu le gland, je demandai très vite qu’on me la retire aussi. Après avoir vérifié que j’avais retrouvé la sensation du besoin d’uriner, on me retira l’infâme tuyau caoutchouteux. Douloureux…
28 avril : les premiers levers
Vers 10 heures du matin, visite du kiné. Jusqu’ici, il se contentait de faire travailler – très brièvement – mes jambes entre autre pour purger les plaies dans les drains. Mais en ce lundi, c’est le grand jour, le jour des premiers levers.
La manoeuvre quoique commune, elle est moins simple qu’il n’y paraît quand on veut préserver son dos : rouler sur le côté, laisser pendre la jambe côté lit et utiliser l’autre jambe comme contre-poids pendant qu’on pousse le tronc avec un bras. Très vite, il faut se mettre à marcher pour garder ses esprits. Quelques brèves secondes à regarder le paysage à travers la fenêtre et on retourne au lit.
Etonnamment, je n’ai ressenti très peu de douleurs au niveau dorsal. Par contre, ma jambe gauche me semble gonflée. J’ai l’impression d’avoir pris un grand coup au niveau du mollet.
Fort de cette expérience positive, j’ai demandé à manger mon repas de midi assis sur un tabouret plutôt que couché sur mon lit. J’espérais aussi que la position verticale re-dynamise un petit peu mon appétit. Bien vite, je sentis que ça ne m’aidait pas. De plus, la tête commençait très vite à tourner.
Qu’à cela ne tienne, à l’heure du souper, je réessaye. A nouveau, l’appétit n’est pas au rendez-vous. La tête commence à tourner. Convaincu qu’il faut forcer pour que ça passe, j’essaye de rester à table.
Bien mal m’en prit : quelques secondes plus tard, ma tête tourne encore plus fort et un voile blanc masque ma vision. Le temps pour mon entourage de trouver une infirmière et c’est la syncope. Bien vite, on me recouche sur le lit et le voile disparaît.
Conclusion de cette expérience : ne jamais se battre contre la syncope car elle gagne toujours…
29 avril : “Et alors, t’as pas encore fait ta toilette ?”
A ma grande surprise, personne ne vient pour me faire ma toilette en ce mardi matin. Soudain, le kiné apparaît : “et alors, t’as pas encore fait ta toilette ?”. Je lui rappelle rapidement ce qui s’est passé la veille au soir. Mais l’idée, c’est qu’il faut se lever puis se recoucher dès que les premiers signes de malaise apparaissent (sueurs, tête qui tourne). Au plus on le fait, au plus on résiste.
Cependant, chaque lever et chaque coucher se traduit par une brève douleur dans le dos. Les douleurs à la jambe se maintiennent.
A chaque repas, je me lève et je tente d’avaler tout mon repas. Je n’y arrive jamais. L’appétit me manque et ce n’est qu’en forçant que je termine mon repas, couché sur mon lit.
3 mai : l’heure de la libération
Samedi matin, je me lève plein d’optimisme. C’est le grand jour. Le jour de la libération. Bientôt, je ne serai plus obligé de faire les cent pas dans le couloir pour me donner du mouvement. Je pourrai aller me balader chez moi. Je passe toute la matinée à attendre que le kiné passe me livrer les précieuses explications concernant les escaliers. L’infirmier de service me confirme qu’il lui a demandé de passer. Mais les heures passent sans qu’il ne montre le bout de son nez…
Lorsque midi sonne, on redemande aux infirmières : il aurait du passer mais vu qu’il finit son service à midi… On essaye de le joindre. Impossible. On essaye le kiné de garde. De fil en aiguille, le kiné est prévenu qu’il m’a oublié. Il contacte l’infirmière et lui donne les explications. Après quelques essais dans les escaliers de l’hôpital, l’heure de la libération a sonné.
Dernier salut aux infirmières qui m’ont si bien soigné et on embarque.
Le trajet en voiture se passe sans encombre. Je suis presque couché dans l’auto. Je ressens chacune des bosses de la route mais curieusement, je souffre plus au niveau de la plaie du côté qu’au niveau du dos. Arrivé à la maison, je m’installe dans le living où un lit d’hôpital trône au milieu du salon. Il en sera ainsi pour les 6 prochaines semaines. Peu de temps après, maman débarque. Puis c’est marraine qui arrive. Puis enfin, papa, mon cousin et sa compagne. Surprise, normalement, il devait venir demain mais ils ont changé de programme. Que de monde…
A 22h30, tout le monde est reparti. Je regarde un petit peu la télé pour me détendre avant d’aller dormir. Ce soir, je ne dormirai pas dans le lit de la chambre à coucher. Il est trop bas. Non, je devrai dormir seul dans le living sur ce lit d’hôpital au matelas si dur. Afin d’échapper à ses cauchemars, mon épouse me rejoindra au salon au milieu de la nuit. Elle choisit de dormir dans le canapé.
6 juin : le jour tant attendu
Six semaines déjà que l’opération a eu lieu. Ma situation est relativement bonne : ma jambe ne me fait presque plus mal et mon dos ne se signale que lorsque j’en fais un peu de trop. Depuis le début de cette semaine, je me suis autorisé à m’asseoir sur une chaise normale et à dormir dans mon lit. Je n’utilise plus le lit d’hôpital que pour me reposer en journée et pour regarder la TV. Rester assis trop longtemps devient douloureux après quelques heures mais lorsque je varie les positions (assis, debout, couché), ca se passe assez bien. Le tout est de ne pas vouloir rester trop longtemps assis devant mon PC…
Aujourd’hui, j’ai rendez-vous à la première heure à l’hôpital pour une visite de contrôle. Au programme, radio et rencontre avec le médecin. Conclusion : les radios sont bonnes, les vertèbres sont dans une bonne position. Certes, cette position n’est pas idéale, mais c’est le mieux que le docteur ait pu faire pour moi. Les plateaux inférieur (L3-L4) et supérieur (L4-L5) sont parallèles au lieu de s’ouvrir. Avant l’opération, ils formaient un angle fermé. Je fais état des permissions que je me suis données, le médecin n’y trouve rien à redire.
Prochain rendez-vous dans six semaines pour un nouveau contrôle. Entre temps, je dois toujours garder le corset jour et nuit, par simple prudence. Je suis autorisé à conduire sur de petits trajets si toutefois, le corset ne me gène pas pour conduire.
Le temps passe…
Au fil des jours, mon activité se normalise tout comme ma résistance augmente. Cela se reflète aussi dans ce journal auquel j’ai de plus en plus difficile à me consacrer.
Je fais de petits travaux dans le jardin. Des choses courtes et légères… mais depuis l’opération, il était impensable que je m’y attaque. J’essaye aussi d’aider mon épouse dans les travaux ménagers. Impossible évidemment de passer une serpillière mais le repassage et la vaisselle sont tout à fait à ma portée pour peu qu’ils ne me prennent pas des heures.
Comme je suis plus actif dans la maison, mes promenades à l’extérieur sont moins fréquentes. Cependant, quand j’en fais une, je perçois que mes jambes en redemandent le lendemain. J’essaye donc de m’y consacrer encore de temps en temps, surtout quand il fait beau.